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L'art visuel

Musée Picasso - L’art “dégénéré” : le procès de l’art moderne sous le nazisme

 Plusieurs expositions sur ce thème avaient déjà eu lieu en Allemagne et aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt-dix – notamment une grande exposition à Berlin en 1992 - mais c’est la première fois en France qu’un grand musée consacre une exposition au « procès de l’art moderne sous le nazisme ».
Cette passionnante exposition présente le « procès » en question, et tout particulièrement l’exposition « Entartete Kunst » qui eut lieu à Munich en 1937, à travers un parcours en six sections :

1 - La genèse du concept d’art dégénéré

La salle introductive de l’exposition – qui comporte un mur entier impressionnant, où figurent les noms des milliers d’artistes considérés comme « dégénérés » par les nazis – présente la notion « d’art dégénéré », apparue en Allemagne dès 1933 : cette notion emprunte aux théories eugénistes du XIXᵉ siècle, en associant le travail des artistes modernes à celui de « malades mentaux », de « criminels », de « juifs » ou de « bolcheviques ». 

2 - L’exposition « Entartete Kunst » de 1937 à Munich

Cette exposition de propagande avait présenté en 1937 au public allemand (non loin d’une autre exposition berlinoise consacrée à « L’art Allemand » qui glorifiait l’esthétique nationale-socialiste) environ 700 œuvres d’artistes majeurs « dégénérés » allant de Van Gogh à Picasso en passant par Chagall, Klee, Mondrian, Kandinsky, Dix, Nolde, Kokoschka, Kirchner, Grosz, Beckmann, etc. Plusieurs dizaines des œuvres présentées à Munich en 1937 figurent dans l’exposition actuelle du musée Picasso, accompagnées de cartels très instructifs et de citations des artistes. L’une d’elles, d’Otto Dix et datant de 1934, est frappante de clairvoyance : « À présent, quand on travaille, c’est comme si on travaillait pour une époque qui n’existe pas encore ; pour tous les officiels d’aujourd’hui, on est un monstre et une abomination ».

3 - Archéologie du concept de dégénérescence

L’exposition souligne, en présentant divers documents, que le concept de dégénérescence dans l’art est à l’œuvre dès la fin du XIXème siècle : pour les nazis, l’art moderne serait à la fois un symptôme et un vecteur des pathologies qui pourraient contaminer la société et notamment la jeunesse. L’exposition de 1937 à Munich rapprochait d’ailleurs nombre de portraits réalisés au XXème siècle de photos de personnes atteintes de difformités physiques ou de désordres psychiques. L’exposition du musée Picasso présente certaines de ces œuvres, peintes ou dessinées par d’illustres artistes tels que les expressionnistes allemands, Picasso ou Van Gogh.

4 - Race et pureté 

Les mouvements comme le cubisme, l’expressionnisme, le dadaïsme, le surréalisme et l’abstraction ont été particulièrement ciblés par le nazisme car ils menaçaient la « pureté » de l’art allemand : non seulement pour des raisons esthétiques, mais aussi et surtout parce qu’émanant d’artistes étrangers, ou encore s’intéressant à des esthétiques extra-européennes (art africain et océanien par exemple). Les artistes et galeristes juifs étaient eux aussi particulièrement visés. Dans cette salle figurent donc de très beaux tableaux relevant des mouvements picturaux honnis des nazis, ainsi que de nombreux extraits de journaux et magazines.

5 - La purge des musées allemands

L’ouverture de l’exposition de 1937 à Munich avait été précédée et fut suivie d’une vague de « nettoyage » des musées allemands, sous le contrôle de Joseph Goebbels : quelque 20 000 œuvres furent ainsi saisies dans les collections publiques allemandes. L’exposition du musée Picasso présente quelques-unes des plus belles de ces œuvres ainsi que des photos d’époque et divers documents d’archives.

6 - Le commerce de l’art « dégénéré »

Les milliers d’œuvres retirées des cimaises des musées allemands en 1937 ont connu des sorts divers, qu’illustre très bien l’exposition en présentant le parcours de certaines de ces œuvres, d’un propriétaire à un autre, et en y adjoignant des documents d’époque :

- Environ un tiers des œuvres, jugées « exploitables » par le régime nazi (bien que publiquement diffamées), furent vendues : une vente aux enchères de 125 œuvres importantes eut lieu en 1939 à Lucerne, et par ailleurs quatre marchands d’art allemands furent chargés de vendre plusieurs milliers d’œuvres.
- Plus de 5 000 œuvres furent brûlées à Berlin en 1939, à l’image de l’autodafé de 25 000 livres « non allemands » qui avait aussi eu lieu à Berlin, en 1933.
- D’autres œuvres furent retrouvées après la guerre. Toutefois, l’exposition du musée Picasso montre que, à quelques exceptions près, aucune ne fut rendue à son institution allemande d’origine ; plusieurs musées européens et américains possèdent encore des œuvres saisies dans les musées allemands.

En tout temps, l’art contemporain a pu susciter moqueries, incompréhension et rejets – il n’est qu’à songer à l'exposition « Paris 1874, inventer l'impressionnisme » présentée au musée d'Orsay en 2024 et qui rappelait que l’impressionnisme tient son nom de l’article moqueur du critique d’art et journaliste au Charivari Louis Leroy, à propos de l’œuvre de Monet intitulée « Impression, soleil levant ». Mais fort heureusement, si l’art en train de se faire est souvent incompris de ses contemporains, il ne subit en général pas la tentative d’effacement complet au profit d’un art de propagande dont a été victime « l’art dégénéré » sous le IIIème Reich.
Allez vite voir cette exposition aussi magnifique qu’instructive et édifiante !

Musée Picasso jusqu’au 25 mai 2025.

Marie Pittet – 11 avril 2025


 

David Hockney, un festin de couleurs

Une explosion de couleurs, du rouge vermillon au vert tendre, en passant par le bleu violet.  Dès l’entrée de l'exposition Hockney à la Fondation Vuitton le visiteur est happé par la lumière et l’évocation du printemps qui se dégage des tableaux du peintre anglais David Hockney. C’est un ravissement que cet éclat de couleurs des tableaux mis en espace par le commissaire Sir Norman Rosenthal et la directrice de la fondation, la conservatrice Suzanne Pagé.  Accrochage réalisé sous l’œil du peintre. L’artiste britannique a choisi de privilégier ses œuvres des vingt-cinq dernières années. L’exposition se concentre surtout sur les paysages du Yorkshire et de la Normandie, où le peintre à vécu. Il a capté l’arrivée des saisons dans les campagnes anglaise et normande : routes vallonnées, champs et bois, lumineux ou sombres, selon la lumière. Se glissent aussi quelques  œuvres anciennes connues,  comme le célèbre «  Portrait of an artiste » peint à Los Angeles en 1972 - une peinture acrylique avec deux personnages : un nageur dans la piscine et son visiteur, habillé, le regardant nager, debout sur le bord de la piscine. 

Le voyageur

David Hockney, 88 ans, aura été un grand voyageur et un amateur de techniques modernes. Né dans la ville ouvrière de Bradford, dans le nord de l’Angleterre, il intègre le Royal College of arts de Londres, puis, diplôme en poche, va s’installer à Los Angeles. C’est là que naîtront les portraits d’intimes et la série des piscines, des peintures célébrant la Californie « hédoniste, solaire et libérée », c’est aussi là qu’il peint de grands paysages.Des sites qui inspirent au peintre une autre manière de voir, comme le Nichols Canyon peint en surplomb, ou la composition des 60 tableaux peints sur huile pour former le Bigger Grand Canyon. Ce sont des aplats de couleurs franches et pures avec des points de vue divers. A la fin des années 1990, après la mort de sa mère, il revient en Angleterre, dans le Yorkshire il emménage  dans une maison où vivaient sa mère et sa sœur, et choisit de représenter la campagne et la couleur des saisons.   Le peintre ne s’interdit pas d’utiliser les techniques contemporaines pour fixer les instants ou les motifs qu’il veut peindre. Il utilise alors le téléphone mobile,  l’IPAD  et crée un logiciel qui lui permet d’utiliser pinceaux et couleurs.  «  L’Iphone et l’IPad fonctionnaient pour lui comme des carnets de croquis électroniques », écrit  l’historienne de l’art Anne Lyles «   Il a souvent raconté que se réveillant tôt le matin, il regardait le soleil se lever et saisissait son Iphone pour enregistrer les couleurs qu’il avait sous les yeux (…) » Comme il utilisait des caméras  placées à l’avant d’une jeep noire, pour capturer en temps réel des modes d’observation successifs  tout au long de l’année ».  C’est ainsi qu’il nous donne à voir la série des aubépines, car chaque année l’arrivée de la fleur variait de manière imprévisible et Hockney laissait tout tomber pour saisir le merveilleux blanc éclatant de la fleur «  May blossom on the Roman road »  huit toiles de 2009. Et « Hawthorn blossom near Rudston » 2008 . Les portraits de fleurs à l’ordinateur sont nombreux. Dessinés sur IPad, ils sont ensuite reproduits sur papier monté sur aluminium. Grâce à la luminosité des écrans informatiques, il peut peindre la nuit et restituer la magie du soir dans la série « Moon »(2020).

Visitant la tapisserie de la reine Mathilde à Bayeux en 2008, il décide de s’installer en Normandie, il  achète une maison à Pont-L'évêque et va être contraint, par le confinement, d’y rester quatre ans, ce qui lui permet de réaliser la série «  220 pour 2020 » des vues normandes selon les saisons, il  peint les changements dans tous leurs états. L’utilisation de moyens techniques, Iphone, Ipad, photoshop,  permet de revisiter le même motif, d’enregistrer les variations de lumière. Le paysage est le partenaire obligé de ses créations.  «  La conviction que la vision objective n’existe pas donne à l’IPad une vocation inespérée de journal visuel ».  Il peindra 50 toiles en l’espace de six semaines.

Son ambition

David Hockney a une ambition : se mesurer à l’histoire de l’art. Théo de Luca, historien de l’art,  écrit «  l’exploration de l’histoire de l’art de Hockney se confond avec son adhésion à des façons de voir autres. (…)Son décentrement constant pour rencontrer les interprétations de ses prédécesseurs empêche son approche artistique de se fixer, c’est-à-dire de devenir un style ( ...) L’histoire de l’art est un monde qui ne cesse de recommencer (. ..)Dans l’étude de la peinture chinoise au rouleau, il trouve la notion d’un espace étendue à dans toutes les directions, infini jusqu’au ciel ».
A Bigger message, un ensemble de 30 toiles peintes à l’huile est une démonstration de sa manière de changer de style. Il s’est inspiré du Sermon sur la montagne de Claude Lorrain pour créer une structure, les couleurs sont violentes, les adeptes au pied de la montagne sont vus de  de dos, comme chez Lorrain.  C’est l’espace dans le tableau qui attire Hockney. De même la composition Kerby d’après Hogarth. Paysages naturels ou compositions, le changement de styles n’empêche pas de reconnaître la pâte particulière de David Hockney. Un  monde simple et coloré .  

La vérité des portraits

Les portraits de ses proches, soixante portraits et de lui-même : dix huit autoportraits sont présentés à la fondation :  sa famille, ses amis. L’artiste explique à la conservatrice Suzanne Pagé : « Portraits réalisés à l’Ipad très rapidement pour pouvoir saisir quelque chose de vrai ,  à l’huile, à l’acrylique, au fusain, au crayon sur toile ». Les portraits se détachent sur des fonds vert ou bleu tendre. L’immense dessin photographique imprimé sur papier et monté sur sept feuilles de Dibond*, est à mettre en exergue. Une série de personnages sont assis, de dos, sur des chaises en bois clair et un miroir les montrent de face. Tout cet ensemble sur la même  toile,  ce « Pictured Gathering with Mirror »s’étire sur 273,1 cm de haut et 733,4 cm de long ». Impressionnant d’unité et de force.

David Hockney a un  surprenant talent pour nous faire partager le jaillissement de la vie et nous montrer sa vision en adaptant la technique la plus efficace.  Avec Hockney nous célébrons les couleurs du  printemps.

 *Dibond :  plaque plastique durable et résistante.

Fondation Louis Vuitton jusqu'au 31 août 2025

Hélène Queuille (19/4/2025)


 

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Alfred Dreyfus -Vérité et justice

Accueillant le visiteur dans la cour d’honneur du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, la sculpture monumentale de l’artiste Tim, pseudonyme de Louis Mitelberg, rend un émouvant hommage à Alfred Dreyfus. La statue le représente, en pied, tenant son sabre brisé devant le visage.

 L’exposition consacrée à Alfred Dreyfus (1859-1935) déroule le récit de l’affaire dont on mesure au fil des documents d’archives, la violence antisémite qui l’anime. Dans chaque salle, sur les murs, on peut lire de nombreuses citations très émouvantes extraites de ses écrits. L’exposition replace Dreyfus au centre du propos. Ce procédé corrige l’image d’un Dreyfus effacé, spectateur passif de sa propre affaire. Elle rassemble près de 250 documents d’archives et une soixantaine d'œuvres.

Alfred Dreyfus est né en 1859 à Mulhouse, au sein d’une famille juive assimilée, dont le père Raphaël, colporteur à l'origine, a fait fortune en créant en 1862 une grande filature de coton. Sa mère, Jeannette Liebman Weil, d’origine lorraine, est couturière. Le 27 septembre 1791, les Juifs deviennent des citoyens à part entière. Depuis cette date, si l’on excepte l'odieuse parenthèse du régime de Vichy, il y a des Français juifs ou non, comme des Français croyants ou non, noirs ou blancs. La guerre de 1870, suivie de la défaite française, de l’annexion de l’Alsace - Moselle par l'Allemagne, sont déterminantes dans le choix de Dreyfus de devenir officier au service de la France. “Heureux comme Dieu en France” dit un proverbe yiddish. Pourtant la haine des Juifs s'étale au grand jour comme pour les élections législatives du 22 septembre 1889 : “ Willette candidat antisémite […] les Juifs ne sont grands que parce que nous sommes à genoux !...LEVONS NOUS ! “ Odieuse, cette lithographie sur papier ! Cette époque marque la montée en puissance du nationalisme et de ses avatars : populisme, xénophobie et antisémitisme avec la publication de la France juive d’Edouard Drumont. Il est l’une des principales figures de l’antisémitisme en France. Polytechnicien en 1878, Dreyfus intègre deux ans plus tard l'École d’application d’artillerie de Fontainebleau avant d’entrer à l’École supérieure de guerre en 1890.

Mais quand les plus hauts gradés sont alertés d’une affaire d’espionnage au profit de l’Allemagne, ils n’envisagent qu’un seul coupable idéal : le brillant stagiaire juif. L’enquête est bâclée et, jugée par le préjugé antisémite. Intervenant dans l’affaire Dreyfus pour analyser le fameux bordereau accusateur, Alphonse Bertillon (1853-1914), le père de la photo judiciaire, conclut à la culpabilité du capitaine Dreyfus en essayant de montrer qu’il a volontairement falsifié sa propre écriture.!! Il synthétise sa théorie dans un délirant diagramme (le“redan”), qu’il place, en 1894, sous le regard des membres du premier conseil de guerre. “Je n’attachai aucune importance à la déposition de Bertillon, car elle me parut l'œuvre d'un fou.” Alfred Dreyfus

Le 22 décembre 1894, Dreyfus, qui n’a cessé de clamer son innocence, est condamné à la dégradation et à la déportation perpétuelle pour haute trahison. On peut voir, dans l’exposition, des objets poignants comme les galons arrachés dans la cour de l’école militaire, le 5 janvier 1895. Au moment de son départ en déportation, Dreyfus adresse de nombreux courriers à ses connaissances dont une lettre au grand-rabbin de France, Zadoc Kahn, qui avait officialisé son mariage, pour demander “consolations et encouragements”. Le 21 février 1895, il est embarqué pour l’île au Diable, au large de la Guyane, ancien bagne devenu campement de lépreux. Enfermé dans une case de 16 m2, il est mal nourri et le climat équatorial est éprouvant. On est très ému par les cahiers qu’il remplissait au bagne pour ne pas devenir fou. Il reprendra ses notes complétées par sa correspondance avec son épouse Lucie pour publier en 1901, Cinq années de ma vie.

On est fasciné par le combat que se livrent les artistes par oeuvres interposées : les tableaux de Félix Vallotton, Edouard Vuillard, Eugène Carrière, Edouard Debat- Ponsan, Jacques- Émile Blanche, Maximilien Luce…Aux portraits des dreyfusards s’oppose celui, abject, du grand rabbin Astruc par Edgar Degas. Fin août 1896, le lieutenant-colonel Picard, chef du service de renseignements militaires, découvre la culpabilité d’Esterhazy. Ses chefs refusent de l’entendre. A partir de septembre 1896, en réponse à la publication de la fausse nouvelle de son évasion, Dreyfus est mis aux fers, la nuit. Une nouvelle palissade est construite autour de sa case l'empêchant de voir la mer. Dreyfus envoie de très nombreuses lettres au Président de la République et aux différentes autorités pour demander la révision de son procès. Bernard Lazare, critique, poète, publiciste analyse l’Affaire sous l’angle de l’antisémitisme. Il est convaincu de l’innocence de Dreyfus. Il publie Une erreur judiciaire. La vérité sur l’affaire Dreyfus. En juillet 1897, le vice-président du sénat, Scheurer-Kestner prend sa défense. Mathieu,le frère d'Alfred Dreyfus, apprend l’identité du véritable traître, Esterhazy, et le dénonce. Les 10 et 11 janvier, Esterhazy est jugé à huis clos et acquitté par un tribunal militaire.

Le 13 janvier, Zola publie “J’Accuse” dans l’Aurore. Dans cette lettre ouverte au Président de la République, Zola prend la défense de Dreyfus, que la justice refuse d’innocenter, et dénonce l'acquittement d’Esterhazy, malgré les nouvelles preuves accablant celui-ci de trahison. Il y dénonce la machination contre Dreyfus. Les 300 000 exemplaires de l'Aurore sont vendus en quelques heures. On peut voir le portrait de Zola d’Ernest Pignon-Ernest sur le texte de son article à la une de L’Aurore. Zola obtient son procès. Il force ceux qui voulaient le silence à écouter et surtout à témoigner dans le prétoire d’un tribunal civil. Zola est condamné. Elles sont édifiantes, les caricatures de Zola qui apparaît comme “le roi des porcs” dans le musée des horreurs. Ce dernier est une série d’affichettes antidreyfusardes, antisémites et publiées entre le 1er octobre 1899, après le procès de Rennes, et décembre 1900, par Victor Auguste Lenepveu, et diffusées comme la presse. Le verrier, ébéniste et céramique Émile Gallé, convaincu de l’innocence de Dreyfus, s’engage pour sa défense en avril 1898 à la suite du verdict du procès Zola. Son engagement lui vaut d’être mis au ban de la bonne société nancéienne et de perdre des commandes. Il est obligé de fermer son usine. Pour rendre hommage à son courage, nous pouvons admirer des objets d’art et du mobilier d'Emile Gallé. Le lieutenant -colonel Henry avoue avoir fabriqué un faux contre Dreyfus. Le lendemain, il est retrouvé la gorge tranchée dans sa cellule.

Le 3 juin 1899, la Cour de cassation casse et annule le jugement de 1894 et renvoie Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes. Il revient en France, le 30 juin 1899. Les débats se tiennent dans la ville de Rennes en état de siège. Fernand Labori, avocat de la défense est victime d’une tentative d’assassinat. A l’issue du procès de Rennes, Dreyfus est condamné avec circonstances atténuantes. Après sa nouvelle condamnation, Dreyfus est gracié par le Président Émile Loubet, sur proposition du président du conseil Waldeck-Rousseau. “L'incident est clos” dira le général Galliffet, ministre de la guerre ! Clos mais pas pour Dreyfus : “Je veux que la France entière sache par un jugement définitif que je suis innocent.” En juillet 1906, la Cour de cassation casse le jugement de Rennes et Dreyfus est réintégré dans l’armée avec le grade de commandant et décoré de la Légion d’honneur mais perd ses 5 ans d’ancienneté. Le calcul de ses terribles années de souffrances à l’île au Diable a été “oublié”. Il se heurte au refus de Clémenceau, président du conseil et du général Picquart, ministre de la guerre, deux de ses plus importants défenseurs… En juin 1907, voyant sa carrière bloquée, Dreyfus demande sa mise à la retraite. Le 4 juin 1908, lors de la panthéonisation de Zola, Dreyfus est victime d’une tentative d’assassinat par Jean-Louis Grégori, journaliste, nationaliste, antisémite. Ce dernier est acquitté… Bien qu'âgé de 55 ans en 1914, Dreyfus reprend son service durant toute la Grande Guerre. Il participe notamment aux dramatiques combats du Chemin des Dames en 1917. Il est placé sous les ordres d’un colonel antisémite et militant de “l’Action française.” Dreyfus décède le 12 juillet 1935. Il est inhumé au cimetière Montparnasse. La diffusion des films sur l’Affaire provoque l’inquiétude du gouvernement français qui promulgue en 1915 une loi interdisant tous les films sur Dreyfus. Cette interdiction, qui touche également Dreyfus, film allemand du réalisateur autrichien d’origine juive Richard Oswald, sorti en 1930, ne sera levée qu’en 1950.

Cette exposition est captivante, émouvante. Elle est également très pédagogique et joue un rôle de formation d’une nouvelle génération du CM2 à l’université. A travers Dreyfus, c’est le combat contre la haine des Juifs qui s’illustre remarquablement. A l’heure où l’antisémitisme reprend des couleurs, en France, soyons très vigilants.

Une exposition à ne pas manquer.
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Jusqu'au 31 août 2025

Jackie Morelle (19/4/2025)


 

Centre Pompidou - Paris noir
Circulations artistiques et luttes anticoloniales 1950-2000

Avant sa fermeture définitive, fin septembre 2025 pour une durée de 5 ans, le Centre Pompidou nous invite à voir son avant-dernière exposition très riche et très intéressante : "Paris noir".
Elle met en lumière les artistes noirs en France dans ce musée parisien. Paris en a accueilli de nombreux entre 1950 et 2000. Ces derniers méconnus dessinent un riche panorama des expériences artistiques noires dans la capitale.
Près de quatre cents œuvres et documents sont répartis par sections thématiques. De la création de la revue Présence Africaine à celle de la Revue Noire, l’exposition retrace la présence et l’influence des artistes noirs, cinquante ans d’expression artistique à Paris. Elle dresse une cartographie possible du Paris noir marquée par l’invisibilisation des artistes et l’éparpillement de leurs œuvres. Cette exposition retrace l’histoire aussi clairement que possible et en s’efforçant d’atteindre une exhaustivité d’autant plus désirable qu'il s'agit de rendre justice à des artistes pour la plupart inconnus.
Plus de cent cinquante artistes africains, afro-américains et caribéens y déploient des esthétiques panafricaines et transatlantiques. Le parcours montre depuis Paris l’histoire des indépendances africaines, la lutte pour les droits civiques aux États-Unis et les luttes pour l’égalité en France à la fin du 20e siècle. Paris voit émerger des œuvres révélant la triste condition des travailleurs étrangers. Les marrons, ces esclaves noirs qui ont fui les plantations sont également honorés. Le mot “marron” vient probablement de l’espagnol cimarrón...

Grace Jones née en 1948, chanteuse, auteure- compositrice, actrice et mannequin jamaïcaine symbolise l’effervescence des nuits parisiennes, tandis que des artistes réinventent l’autoportrait à travers des icônes comme Joséphine Baker (1906-1975) chanteuse, danseuse, meneuse de revue, résistante, panthéonisée en 2021, devenant la première femme noire à rejoindre le “temple” républicain.
La période de l’après-guerre à Paris a inspiré les artistes : abstraction, modernisme, surréalisme… Dans la capitale, les artistes noirs inventent également leurs propres mouvements artistiques en lien avec la décolonisation et le métissage. Dans les années 1960 et 1970, les artistes caribéens, pour certains formés à l’université de Vincennes, travaillent à des formes abstraites hantées par l’idée de retour vers l’Afrique, passant par une recherche expérimentale de matières et par une attention constante à la vitalité des formes. Les œuvres de la Caraïbe ont rarement été montrées en France.

A partir des années 1970, Paris devient un lieu de relecture critique de l’histoire pour les diasporas noires. Les intellectuels martiniquais tels que Suzanne Césaire (1915-1966), écrivaine et son célèbre mari Aimé Césaire (1923-2008), écrivain et homme politique, Fanon (1925-1961) psychiatre, une figure majeure de l’anticolonialisme et Edouard Glissant (1928-2011), écrivain, poète, philosophe, prix Renaudot en 1958 pour la lézarde ont théorisé une nouvelle conscience noire croisant philosophie, psychiatrie, politique et poésie.

Au centre de l’exposition, une matrice, circulaire reprend le motif de l’Atlantique noir, océan devenu disque, métonymie de la Caraïbe et du “Tout Monde”, selon la formule du poète martiniquais Édouard Glissant comme métaphore de l'espace parisien. Quatre installations rythment le parcours en portant des regards contemporains sur cette mémoire.

Paris Noir est une exposition incontournable qui révèle des créateurs méconnus de l’histoire de l’art. Un merveilleux hommage à tous ces artistes noirs. Il était temps ! A voir absolument !

Centre Pompidou, jusqu'au 30 juin 2025

Jacky Morelle (28/3/2025)


Le Corbusier - L'Ordre des choses

À l’occasion de son 20e anniversaire, le Zentrum Paul Klee (Berne, Suisse) consacre la première grande exposition temporaire de l’année à Le Corbusier. Du 8 février au 22 juin 2025, le Zentrum Paul Klee présente « Le Corbusier. L’ordre des choses ». L’exposition s’intéresse à l’élaboration du travail de cet artiste architecte, designer et urbaniste franco-suisse ainsi qu’à sa pensée plastique. Elle propose un large aperçu de l’ensemble de son œuvre à partir d’une perspective artistique à travers des pièces iconiques mais aussi des groupes d’œuvres encore peu connues. La disposition scénique des différents thèmes permet une visite individuelle en fonction de ses intérêts particuliers concernant les différents aspects de l’artiste.

L’élaboration du travail de Le Corbusier au cœur de l’exposition

Charles-Édouard Jeanneret, connu dans le monde entier sous le pseudonyme de Le Corbusier, compte parmi les pionniers de l’architecture moderne en Suisse. Figure centrale de la modernité internationale parmi les plus marquantes et influentes du monde, Le Corbusier (né en 1887 à La Chaux-de-Fonds, Suisse – mort en 1965 à Roquebrune-Cap Martin, France) exerçait non seulement comme architecte, mais aussi comme artiste, urbaniste, designer, écrivain et théoricien. Depuis 2016, une partie de son œuvre architecturale est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’exposition met en évidence l’élaboration du travail de Le Corbusier, sa pensée plastique et ses expérimentations artistiques au sein de « L’Atelier de la recherche patiente », ainsi désignait-il sa démarche artistique. Elle révèle son approche par tâtonnement de la forme, mais aussi de la composition et de l’espace, de la lumière et de la couleur. La présentation rassemble de nombreux dessins et études provenant de son atelier. Pour Le Corbusier, le dessin a toujours été un moyen fondamental pour garder en mémoire ce qu’il avait vu et l’assimiler, ainsi que pour concevoir de nouvelles idées. Par ailleurs, l’exposition met en lumière les sources irriguant son processus de conception : d’objets qu’il trouvait sur la plage à l’architecture antique.

Le principe de l’ordre 

L’« ordre » jouait un rôle primordial pour Le Corbusier. Avec cette notion, l’exposition s’empare en outre d’un thème du champ de l’histoire de l’art et de la culture, intelligible et universel, remontant à l’Antiquité et toujours actuel. Dans les années 1920 en particulier, l’« ordre » constituait un concept clé de la pensée corbuséenne. Pour Le Corbusier, concevoir signifiait « ordonner » les choses. Comprendre le monde et l’organiser à travers l’ordre, était, selon lui, le devoir de l’art et de l’architecture.

Art, architecture et recherche 

L’exposition s’articule de manière thématique et chronologique autour de trois axes : l’art, l’architecture et la recherche. L’axe Art montre l’évolution artistique de Le Corbusier, de ses années de formation jusqu’à son œuvre tardive. Pour lui, l’art a toujours joué un rôle capital à la fois comme activité autonome et comme moteur pour l’architecture et le design. Cette partie de l’exposition commence avec des études de la nature, de paysage et d’architecture rarement présentées qui mettent en évidence la manière dont le jeune Charles-Édouard Jeanneret s’initie à l’espace et à l’architecture. Les principes du purisme sont élaborés dans les premières années de la guerre par, le peintre Amédée Ozenfant et Le Corbusier. En 1918 ils fondent la revue « L’Esprit nouveau » en compagnie de Louis Aragon, Paul Eluard, Tristan Tzara et André Breton.

L’axe Architecture est consacré à la pratique de conception de Le Corbusier et à son intérêt pour les principes d’ordre en architecture. Cette section présente des études de projets réalisés et non réalisés. Parmi les pièces exposées figurent de remarquables esquisses et dessins, des études et des projets en urbanisme, des maquettes et des visualisations dont le caractère artistique au premier plan souligne les parallèles étroits avec l’œuvre artistique de Le Corbusier. 

L'élaboration progressive des « cinq points » (les pilotis ; le toit-jardin ; le plan libre ; la fenêtre en longueur ; la façade libre) semble en effet constituer le point culminant des recherches architecturales théoriques menées par Le Corbusier tout au long des années vingt dans sa pleine période puriste.  Le Corbusier pensait que les bâtiments devaient être conçus comme des machines à vivre, chaque élément remplissant une fonction spécifique. Il rejette les styles ornementaux du passé et préconise à la place une architecture simple, efficace et expressive de sa finalité.

Les plans originaux de projets célèbres comme l’Unité d’Habitation à Marseille (1945-1952), la ville de Chandigarh en Inde (1950-1965) ou la chapelle Notre-Dame Du-Haut de Ronchamp (1950-1955) sont exposés. L’axe Recherche constitue le cœur de l’exposition. Cette section dédiée au concept de l’«Atelier de la Recherche Patiente » forme une passerelle entre l’architecture et l’art. Elle donne au public un aperçu du travail quotidien de Le Corbusier, dont l’activité était répartie entre deux ateliers parisiens : son bureau d’architecte rue de Sèvres et son atelier d’artiste situé rue Nungesser-et-Coli. 

L’axe Recherche montre, entre autres, la collection d’objets naturels de Le Corbusier qu’il considérait comme des « objets à réaction poétique » et qui formaient une source importante de son processus de conception. Une sélection de ses photographies est également présentée ici. Pour la première fois en Suisse, le Zentrum Paul Klee montre en outre la collection de cartes postales de Le Corbusier qui permet de s’immerger dans l’univers visuel à nul autre pareil de cet artiste architecte.

Contextualisation historique

De nombreux textes muraux et explicatifs facilitent la compréhension de l’œuvre de Le Corbusier dans son contexte historique. L’exposition met également à disposition des informations sur le parcours de Le Corbusier, tandis qu’elle éclaire de manière scientifique son rapport controversé à la politique, ses positionnements idéologiques et son héritage culturel. À ce sujet, le Zentrum Paul Klee prend appui sur l’étude « Le Corbusier, les Juifs et les fascismes. Une « mise au point » produite par l’historien Jean-Louis Cohen pour le compte de la ville de Zurich en 2012, ainsi que sur les connaissances actuelles de la recherche. 

Zentrum Paul Klee, Berne jusqu'au 22 juin 2025

Séverine et Raymond Benoit (27/2/2025)



Suzanne Valadon au Centre Pompidou

Le 23 septembre 1865, Marie-Clémentine Valadon, fille de Madeleine Valadon et de père inconnu naît à Bessines- sur-Gartempe en Haute-Vienne. En arrivant à Paris, sa mère exerce le métier de couturière. Suzanne apprend très jeune ce métier et le pratique dans une maison de haute couture.
Modèle sous le nom de Maria, dès l'âge de 14 ans pour subvenir à ses besoins, elle apprend les différentes techniques du dessin et de la peinture en observant les maîtres. C’est Toulouse-Lautrec avec qui elle a une liaison qui lui donne le prénom de Suzanne, en référence à la Suzanne biblique, car elle pose nue pour des vieillards. Toulouse-Lautrec fera d’elle le portrait intitulé gueule de bois.
Au critique d’art Gustave Coquiot, Suzanne confie en 1920 son plaisir de poser pour Renoir : “Je posais tantôt habillée, en plein soleil, dans l’herbe, tête nue ou coiffée de chapeaux très fleuris. Tantôt nue. Ce fut une période très colorée.” Un jour où elle est en retard pour une séance de pose avec Renoir, ce dernier va la chercher chez elle, et la surprend en train de faire un autoportrait. “Vous aussi, et vous le cachiez ?”, lui dit-il, admiratif. De modèle elle est devenue peintre. Figure de l’art moderne, elle n’a jamais appartenu à aucun de ces courants.

Le 26 décembre 1886, son fils Maurice naît de père inconnu. Maurice Valadon prend en 1891 le nom de Maurice Utrillo, son père putatif, lorsque Miquel Utrillo le reconnaît.
En 1892, elle se lance et réalise des portraits sans concession de sa famille. Dans les autoportraits qu'elle peint tout au long de sa vie, Valadon s’affiche avec une sévérité assumée : "Il faut être dur avec soi, avoir une conscience, se regarder en face."
En 1886, elle épouse Paul Mousis, agent de change. Ce mariage lui donne une stabilité financière. Ils se séparent en 19O9 En 1911, elle rencontre André Utter, artiste peintre qui devient son amant. Ils déménagent au 12 rue Cortot à Paris.
Elle commence à peindre de grandes compositions L’atelier-appartement où elle vécut de 1911 à 1925 peut se visiter au 12, rue Cortot (musée de Montmartre, Paris 18ème). En août 1914, elle épouse Utter, appelé sous les drapeaux. Maurice Utrillo, réformé, demeure chez sa mère rue Cortot. Puis, la notoriété venant dans les années 1920, elle peint sur commande des portraits de ses amis du monde de l’art. Elle peint, à son tour, des nus masculins et féminins, thème longtemps réservé aux hommes.
En 1923, elle achète le château Saint-Bernard près de Lyon où Utter, Utrillo et elle ont chacun un atelier. En 1926, elle emménage avec Utrillo au 12, avenue Junot à Paris tandis qu'Utter reste rue Cortot. En 1931, ses relations avec Utter s’assombrissent. Elle participe à de nombreuses expositions personnelles et collectives, en France et à l’étranger. Lucie Valore, alors mariée à un banquier mécène et collectionneur, rencontre Suzanne et Maurice dans son salon littéraire. A la mort de son mari, en 1933, Lucie se rapproche d’Utrillo qu'elle épouse en 1935. Lucie prend en main la gestion de l'œuvre d’ Utrillo.
Suzanne lui reproche son ingérence dans les affaires de son fils Elle la peint, vêtue de noir, avec des traits très durs et une silhouette imposante. A la fin de sa vie, elle se lie d’amitié avec le peintre Gazi-Igna Ghirei, dit Gazi le Tatar (1900-1975). Il l’encourage à reprendre la peinture. Elle meurt subitement à la suite d’une attaque cérébrale le 7 avril 1938.
Elle est inhumée, le 9 avril, au cimetière parisien de Saint-Ouen.

 Centre pompidou - Suzanne Valadon - Jusqu'au 25 mai 2025

Jacky Morelle (26/02/2025)


 

BNF - Apocalypse, hier et demain

Pour dire « c'est une véritable catastrophe », on dit souvent « c'est l’apocalypse ». Ce qui sous-entend, un grand bouleversement, voire l'effacement. Mais le sens du mot grec «  apocalypse », n'est pas catastrophe, il signifie  «  révélation ».  
L'exposition magnifique que présentent les conservateurs de la Bibliothèque Nationale,  François Mitterrand sous la direction de Jeanne Brun,  conservatrice en chef du patrimoine et directrice adjointe du Musée d'art moderne, est donc l'histoire du dévoilement des turpitudes humaines qui conduit à l'avènement d'un renouveau.

Les visions de Jean

Le point de départ :  l'apocalypse de Jean. Un solitaire exilé sur l'île de Patmos, au large de la Turquie, dont on ne connaît pas encore les origines.
Fût-il un prophète ? Un des quatre évangélistes ? En tout cas cet « ermite » va avoir une transe visionnaire et écrire ce qu'il a vu sur un parchemin.  A cette époque de nombreuses communautés semi-monastiques se sont constituées au Moyen Orient, les textes  sur  les origines de l'homme sont divers et nombreux. Les prophètes aussi.  A la fin du 1er siècle, Jean, de Patmos  va sonner le glas : c'est lui, qui va dévoiler les grandes calamités de la fin du monde.: tremblements de terre, pluie de grêle, de feu, de sauterelles, la mer qui tourne au sang…il annonce  « la fin du monde est proche ».
Son récit se présente comme « un livre unitaire qui englobe tout, » écrit une des conservatrices Charlotte Denoël, « la terre et le ciel, le temps passé, présent et futur. » L'Apocalypse de Jean est un des rares récits  ayant  circulé avant l'invention de l'imprimerie. Et c'est en 800 que l'on voit les premières transcriptions visuelles. Les dessinateurs et peintres  ont des imaginations débordantes pour mettre en scène le texte, avec les quatre chevaux de l'apocalypse, les sept sceaux,  les sept trompettes et sept coupes , Saint-Michel terrassant le Dragon … L'Apocalypse sème la terreur dans le monde du Moyen Age obéissant à la religion catholique. La fin du monde est sur toutes les lèvres, l'anéantissement est proche. Et deux mille ans après, ce livre hante toujours d'imaginaire.    

Le Beatitus    

Au IXème siècle dans l'abbaye de Saint Sever, un des principaux centres spirituel et politique du duché de Gascogne, est créée une des plus riches apocalypses, le Beatitus. Il s’agit de l'unique copie française d'un commentaire de l'Apocalypse élaboré par un moine espagnol, Béatus de Lébana. Quatre artistes monastiques vont donner des représentations vivantes des 292 feuillets de parchemin, concevoir des enluminures. Le livre paraîtra en latin. Par miracle le Beatitus trouvera refuge au XVIIIème siècle à la bibliothèque nationale de Paris. A noter que Pablo Picasso se nourrira du Beatitus pour créer son tableau Guernica.  En Allemagne, Albrecht Dürer va créer, un de ses plus grands chefs-d'œuvre grâce à l'apocalypse. Ses sources d'inspiration sont nombreuses : Mantegna, la Bible de Cologne, les vieux maîtres allemands et flamands. « Pour Dürer la Révélation de Jean est avant tout un texte de piété, écrit une des commissaires Caroline Vrand. En 1492, il va assumer seul son Apocalypse, (en 1450, Johannes Gutenberg  a créé l'imprimerie) la production d'un livre d'images et de texte. Des gravures au burin sur bois, dessins saisissants qui donnent corps aux visions, conciliant le réel et le surnaturel.
Les planches : la grande Prostituée, les quatre cavaliers de l'Apocalypse, Saint-Michel terrassant le dragon. La page recto est consacrée à l'illustration et au verso, le texte. Les images sont saisissantes d'effroi. L'historien et philosophe George Didi Huberman écrit «  dans l'Apocalypse les figures humaines ou surnaturelles, animales ou monstrueuses, grouillent de partout, ainsi l'histoire de l'Apocalypse se présente comme une immense formation anachronique de temps entrechoqués, d'où prennent figure des futurs déjà vus ». Ces illustrations de l'Apocalypse de Jean marquent les fidèles qui vivent dans la peur de la punition divine. L'Eglise utilise cette puissance de l'écrit de la fin des temps, et son illustration est reprise par de grands peintres, comme Memling « vision de l'apocalypse de saint Jean à Patmos », ou Peter Brueghel « damnés tourmentés par des diables et des animaux fantastiques ».
Dans des époques de guerres et de peurs, les peintres remettent au goût du jour les épisodes apocalyptiques. Jacques Caillot, graveur ( XVIIème) réalise des eaux fortes dévoilant sa vision  des grandes misères de la guerre.  «  La fin du XVIII -ème siècle est marquée par un déferlement d'énergies : les révolutions américaine (1775-1783) et française (1789) sont perçues comme les signes de la fin d'une ère, révélant les fantasmes millénaristes » écrit la conservatrice Camille Adnot. L'anéantissement Au XIème siècle, la fragilité des régimes,  l'existence d'un ordre naturel ou divin alimentent la nostalgie romantique  les peintres anglais et français  comme  William Blake, ( the Whore of Babylon)  William Turner, Gustave Moreau et les écrivains  français: Victor Hugo, Musset, Lamartine, expriment leurs craintes et leurs désarrois. Le motif du cavalier vengeur, dont le plus terrible est le quatrième, le funeste cavalier de la mort, devient un topos de la peinture traversant le XIX -ème siècle. De William Black à William Turner. » (Camille Adnot)

Le temps des catastrophes

Le XXème siècle  qui va être vécu comme le siècle des grandes catastrophes en Occident (deux guerres mondiales, la Shoah) conduit les artistes à retenir les thèmes les plus violents de l'Apocalypse. Le peintre allemand Otto Dix produit une huile sur glacis appelée « souvenir de la galerie des glaces à Bruxelles). Le spectacle d'un couple, elle dénudée, lui en habit d'officier. «  Dans le monde où l'ordre et la religion reculent  les artistes décrivent la traverse des souffrances comme un mal nécessaire  précédant un renouveau - écrit  Jeanne Brun - plus d'extase sainte, plus de ravissement en esprit pour se rapprocher du mystère de Dieu, plus de Jérusalem céleste en point de mire : le dévoilement est celui de la réalité, de l'épaisseur de la cruauté du réel. Le salut résiderait alors dans notre regard, dans l'abandon de l'aveuglement dans lequel nous persistons, en appréhendant le monde, comme l'antichambre d'un autre ».
Au XXème siècle, sous l'influence de Rudolf Steiner et de la philosophie russe, Kandinsky manifeste un grand intérêt pour l'Apocalypse. Sa fascination coïncide avec une évolution de sa peinture vers l'abstrait. En 1910, il peint sur le thème du Jugement dernier.

Le silence de l'avenir

Au XXIème siècle, écrivains, cinéastes, créateurs de jeux vidéo dessinent des mondes souvent synonymes de désolation, de violence. Anne Imoff, l'artiste allemande, qui a eu le Lion d'or 2017 à Venise, a réalisé une puissante déflagration (c'est d'ailleurs l'affiche de l'exposition).  
L'exposition se termine par « après la fin, imaginer les mondes à venir ». Les vingt premiers chapitres du texte de l'Apocalypse n'ont qu'une finalité : l'avènement de la nouvelle Jérusalem. Mais là les artistes ont de la peine à montrer la suite: à quoi ressemblera notre monde après sa chute ? Un monde appauvri ou la construction d'un monde idéal ?   Otobong Nkanga  et Kiki Smith offrent  une vision des jours d'après avec les tapisseries au format monumental qui conçoivent le nouvel ordre du monde, après la catastrophe. Jérusalem révélé à Jean par l'ange. L'apparition de cette cité céleste où le temps et la mort sont abolis. » (texte de Pauline Créteur). Jérusalem révélé à Jean par l'ange. L'apparition de cette cité céleste où le temps et la mort sont abolis. » (texte de Pauline Créteur). L'artiste Otobong Nkanga explore un récit alternatif de la révélation de la Jérusalem nouvelle avec Unearthed – sorti de terre – c'est un monde qui n'est plus fait que de la mer, la civilisation n'existe plus.
« Pour fabriquer un monde nouveau, il faut partir d'un monde qui existe. » écrit  Ursula K. Le Guin, autrice américaine de science-fiction.  La fin des temps et le renouveau sont illustrés par des textes d'écrivains et des œuvres contemporaines, comme : l'arbre de vie d'Ali Cherri, la sculpture sans titre de Laurent Gasso.qui représente un jeune enfant tenant un globe terrestre. L'écrivain et traducteur Frédéric Boyer offre une conclusion à cette grande exposition :  «  je crois qu'il faut sortir de ce texte majeur de ses lectures infantilisantes ou culpabilisantes. Le mot lui-même n'exprime plus que le contraire de ce qu'il signifiait. (…) Il s'agissait dès l'origine d'un enseignement sur la patience et l'espérance.(...) Ce que décrit l'Apocalypse n'est pas le dénouement de l'histoire humaine, mais le dénouement de l'angoisse et de la catastrophe présente.(...) On pourrait dire qu'il s'agit de la première histoire sainte récapitulée et vécue au présent ».

 BNF François Mitterrand - Apocalypse, Hier et demain. Jusqu'au 8 juin 2025

Hélène Queuille


 

Marisa Merz

Marisa Merz (1926–2019) compte parmi les figures de premier plan de la scène artistique italienne d’après-guerre. En 2013, elle remporte le Lion d’or de la 55e Biennale de Venise pour l’ensemble de son œuvre. Aujourd’hui elle est présentée comme la seule femme parmi les principaux représentants de l’Arte Povera.

Seule femme dans le cercle de l’Arte Povera,  Marisa Merze utilise toutes sortes de matériaux bruts : aluminium, argile, cuivre ou nylon, ou encore  de la cire et du tissu – En résumé, ses œuvres se caractérisent par des matériaux « pauvres ». Pendant plus de cinquante ans, elle élabore une œuvre résolument ouverte.
« L’artiste a un rôle établi, comme celui d’une épouse ou d’un fils. Mais je ne suis pas prête à me conformer à ces rôles, ces rôles qui divisent, ces listes… » Marisa Merz, 1985

Le brut et le précieux se côtoient souvent dans les œuvres de Marisa Merz qui naviguait avec brio entre l’histoire de l’art et le quotidien. Elle place au premier plan la puissance imaginative de matériaux dits « pauvres ». Ces matériaux, souvent issus du quotidien, déploient en tant que matières brutes une étonnante poésie et possèdent aujourd’hui encore une grande puissance associative. Son rapport aux différents matériaux est subtil, radicalement personnel et relie de manière indissociable culture savante et culture populaire.

« Je ne suis intéressée ni par le pouvoir, ni par la carrière. Seuls le monde et moi m’intéressent. » Marisa Merz, 1985

L’exposition au Kunstmuseum Bern réunit quelque 80 œuvres au sein de cinq chapitres se déployant dans l’espace, parmi lesquelles des dessins, des peintures, des sculptures et des installations. Des témoignages de ses premières actions sont également présentés, à l’instar de photographies de Claudio Abate qui accompagna une action de Merz sur la plage de Fregene près de Rome en 1970, lors de laquelle l’artiste déposa sur le sable de petites œuvres en fil de nylon qui furent ensuite emmenées par les vagues,

Musée d’art de Berne - Jusqu'au 1er juin 2025

 Séverine et Raymond Benoit (11/02/2025)


Théâtre

Les Collectionnistes

Le charmant Théâtre du Petit Montparnasse nous a rarement déçus.
Ce soir, il est question de peinture. Sous le curieux titre "Les Collectionnistes", François Barluet a imaginé une réunion chez les Durand-Ruel. Selon les recettes les plus classiques chères à Lagarde et Michard, il y aura unité de temps, d'objet et de lieu. Le metteur en scène Christophe Lidon va nous enfermer pendant une grosse heure dans un salon bourgeois, celui du marchand de tableaux Paul Durand-Ruel (1831-1922 incarné par Christophe de Mareuil) et de sa charmante épouse Jeanne-Marie (Christèle Reboul). Pour un peu, le décor serait planté pour une pièce de Georges Feydeau.
Nous sommes juste après la funeste guerre de 1870. Durand-Ruel est allé pendant les combats se réfugier à Londres où il a rencontré Monet. De retour à Paris, il accueille ceux qu'on va bientôt appeler "les Impressionnistes". Il croit à leur futur, les soutient, achète leurs toiles. Le marché n'est pas prêt, mais le marchand a une longueur d'avance (on dit que dans sa longue vie Durand-Ruel acheta douze mille tableaux). Il s'endette, mais est soutenu par sa banque, l'Union Générale. Durand-Ruel ne peut abandonner ses amis peintres, comme Auguste Renoir (Victor Boucigault). Il y a aussi le directeur du journal véreux, “Le Constitutionnel” (Frederic Imberty) qui fait du chantage et tourne autour de la belle Jeanne-Marie. La banque va-t-elle se décourager ? l'épouse aimante s'en aller ? on vous laisse découvrir la suite...
C'est joliment écrit, bien joué avec quelquefois des allures de pièce de patronage. On révise son histoire de l'art à un tournant décisif, et on passe un bon moment.
Bruno Caudrillier (23/3/2025)

Site

 


Cinéma

Le Quatrième mur

Qu'est-ce que le « quatrième mur » ? On attribue cette expression à Diderot, qui désigne ainsi le mur invisible séparant la scène d'un théâtre de son public.
C'est le titre qu'a choisi le journaliste-romancier Sorj Chalendon (72 ans) pour son roman publié en 2013, qui se passe au début de la guerre civile du Liban. Une zone que connaît bien le reporter de guerre, pour avoir couvert les conflits de la région.  Le réalisateur français David Oelhoffen a gardé le même titre quand il décida de mettre en images ce roman.
Nous sommes donc en 1982 ; la guerre fait rage dans une Beyrouth dévastée. A Paris, un vieillard juif-grec, Sam (= Bernard Bloch) a eu l'idée folle de monter dans la capitale libanaise l'Antigone de Jean Anouilh. Cette belle et sombre pièce a été écrite dans le Paris occupé de 1944, et parle de guerre civile et de déchirements familiaux. Pour cette nouvelle production, les acteurs doivent provenir des différentes communautés du pays, et la pièce doit être jouée dans un théâtre en ruines, juste sur la frontière séparant Chrétiens et Musulmans.  Sam est dans la dernière ligne droite. Il sait qu'il ne pourra pas relever ce défi. Alors il convoque son élève et ami Georges (Laurent Lafitte). Celui-ci hésite : il ne connaît rien de la situation au Liban. Pressé par Sam, il finit par accepter.  Le voilà donc débarqué à Beyrouth. Il est accueilli par un copain de Sam, Marwan (formidable Simon Abkarian). Nous sommes tout de suite dans le bain : il y a des check-points à chaque coin de rue, les balles sifflent et les bombes tombent.  Georges ne se dégonfle pas : il lance la mise en scène, rassemblant Druzes, Chrétiens, Palestiniens, Chiites, Sunnites. Tous sont touchants, pleins de bonne volonté. Georges est particulièrement réceptif au charme dégagé par la jeune actrice palestinienne incarnant Antigone, Imane ( magnifique Manal Issa). Il doit mener sa mise en scène en tenant compte des tensions intercommunautaires ; il apprend vite.  Hélas la guerre rôde aux alentours, et viendra bientôt s'inviter dans ce si beau projet. Préparez-vous à des scènes violentes.
La mise en scène est sèche et rapide, dans un style sobre genre « documentaire sur Arte », et on reste suspendu à l'intrigue pendant les deux heures du film.  Les acteurs sont exceptionnels. Depuis qu'il a quitté la Maison de Molière, Laurent Lafitte enchaîne avec bonheur des rôles très divers. Quant à Simon Abkarian, il n'a eu aucun mal à se fondre dans le personnage de Marwan, y compris l'accent, car il a passé sa jeunesse à Beyrouth. Et on a déjà dit tout le bien que l'on pense de la jolie, spirituelle, fondante Manal Issa.
C'est un beau film, qui entre hélas en résonance avec l'actualité des derniers mois.

Bruno Caudrillier  (23/3/2025)



The Brutalist

Dès son lancement, « tTe Brutalist », un long-métrage americano-anglo-hongrois fait beaucoup de bruit. Il y a d’abord sa longueur : 215 minutes coupées en leur milieu par un entracte. Depuis les grandes productions type Ben Hur, on n’était plus habitués à cette césure bienvenue. Et puis il y a surtout la qualité de cet opus, qui, selon beaucoup, le place au même rang que « Émilia Perez » parmi les chefs-d’œuvre de cette année.

Le film suit le destin d’un architecte hongrois, Lazlo Toth .  Pour l’incarner , le réalisateur américain Bady Corbet (37 ans) a eu la main heureuse en choisissant Adrien Brody, dont on avait déjà perçu le grand talent dans « le Pianiste » de Polanski, dans le pourtant désastreux « Daaali », dans « Grand Hotel Budapest », ou encore dans maintes productions de Woody Allen. Comme le sujet exclusif du film, c’est la trajectoire de Lazlo, on a le temps d’admirer les mille et une facettes de cet acteur surdoué.

L’histoire, c’est donc celle de cet architecte hongrois, de 1947 à 1960, avec même un court épilogue en 1980. Lazlo, membre du Bauhaus, connait un joli succès dans son pays natal, jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par la démence nazie. Interné à Buchenwald, il survivra. Le film commence en 1947, quand le bateau de ces survivants arrive en vue de la Statue de la Liberté. Dès ces premières images magnifiques, on sait que l’on va assister à une projection peu commune. Lazlo n’a qu’une adresse en débarquant en Amérique : son cousin Attila, marchand de meubles à Philadelphie. Le cousin et sa femme catholique Audrey l’abritent et le font travailler. Attila va apprendre à Lazlo que sa femme Ersesbet (gracile et énergique Felicity Jones) et sa nièce Zsofia, elles aussi raflées, ont survécu à l’enfer  des camps. Elles sont bloquées en Autriche, et Lazlo va se démener pour les faire venir aux USA. Quand Lazlo pourra enfin récupérer son épouse, on aura droit à un beau portrait de femme : Ersesbet, frappée par une ostéoporose dévastatrice, est en fauteuil roulant. Mais, pleine d'énergie, elle est la gardienne de la dignité du couple.

On ne va pas vous raconter la suite, à vous de la découvrir. Sachez seulement que dans son nouveau métier de décorateur, Lazlo va rencontrer un richissime entrepreneur, Harrisson Van Buren (Guy Pearce). Tout au long du film, on va assister aux relations tantôt amicales tantôt conflictuelles entre l’architecte européen et le milliardaire américain égocentrique, brutal et inconséquent (ça ne vous rappellerait pas quelqu’un ?). 

Le film peut prendre le temps de mettre en scène sans lourdeur, de manière souvent allusive, l’envers du rêve américain : toute-puissance de l’argent, vulnérabilité des petits, racisme ouvert envers les Noirs et plus discret envers les Juifs, grande violence dans les rapports humains.

Les acteurs percent l’écran, surtout Brady qui porte le film. Les images sont magnifiques, avec certains cadrages qu’on n’est pas près d’oublier. La musique, très prenante, était un peu forte, mais on s’y est fait.

A sa sortie, le film a été l'objet d'une vive polémique au sein du petit monde d'Hollywood : la production a été accusée d'avoir eu recours à l'IA pour certains dialogues, pour reprendre les répliques des acteurs supposés hongrois pour amplifier leur accent. Le début d'une bagarre annoncée...

Ne ratez pas ce grand film.

PS : Pour les amoureux du septième art : écouter en podcast sur France Culture, « A Voix Nue », une série de cinq émissions de 30 mn avec Nicolas Seydoux parlant de sa vocation tardive d’entrepreneur de cinéma avec Gaumont : passionnant.

Bruno Caudrillier  (20/3/2025)


Musique

Le Boléro à la Philharmonie

C’est sans doute l’œuvre de musique classique la plus connue au monde comme, par exemple, la Petite musique de nuit ou les Quatre saisons.
Que n’a-t-on pas dit à son propos : que toutes les 15 minutes, un chef lève la baguette pour une nouvelle exécution de l’œuvre, qu’à la création, une femme se serait écrié “au fou !” et Ravel de dire : “ celle-là, elle a tout compris “, qu’elle génère des millions de droits d’auteur annuels (ça a été vrai), qu’elle est fondatrice de la musique répétitive américaine…

La présente exposition - assez rare pour une seule œuvre de musique classique, est très complète :  des vidéos d’époque, une interprétation scénarisée, tous les documents relatifs à la danse, à sa passion pour les jouets mécaniques, à l’Espagne, reconstitution de sa maison de Monfort-l’Amaury…

Philharmonie de Paris - Jusqu’au 15 juin. (La Philharmonie de Paris n’étant pas “journaliste ou blogueur frendly”, les membres du syndicat devront s’acquitter de leur ticket)
 
Thierry Vagne (17/01/2025)


 

 

Photo : DR

En première mondiale, l’hologramme d’un virtuose enregistré de son vivant

Philippe Entremont, 85 ans, est un virtuose français qui a donné 7 000 concerts et réalisé 350 enregistrements. Sa carrière internationale lui a permis de jouer et d’enregistrer avec des chefs aussi illustres que Leonard Bernstein ou Eugene Ormandy, puis de se produire de par le monde aussi bien en tant que pianiste que chef d’orchestre. Il vient de réaliser un enregistrement de son hologramme qui permettra de le voir donner un récital comme s’il était physiquement présent. Des spectacles d’hologramme d’artistes disparus existent déjà, avec des artistes de variétés ou Maria Callas par exemple. Mais jamais l’expérience n’a été réalisée en enregistrant directement un artiste de son vivant via ce procédé.
Au programme : la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, la sonate K. 311 de Mozart, la sonate Clair de lune de Beethoven et Pour le piano de Debussy. Ce programme devrait être diffusé dans des salles prestigieuses début 2020. On pourra probablement dans l’avenir visualiser cet hologramme chez soi, avec des lunettes de réalité augmentée.
Lire l’article

Thierry Vagne - 06/12/2019


Cinéma

Killers of the flower moon : un monument à ne rater sous aucun prétexte

Si au cours de vos humanités vous avez lu Tintin en Amérique (1932), Lucky Luke dans « ruée sur l’Oklahoma » (1960) ou « à l’ombre des derricks »(1962), vous ne pouvez ignorer que les méchants cow-boys, dès qu’ils humaient un parfum de pétrole, chassaient les gentils Indiens pour y installer leurs derricks.
La tribu des Osages, dans les années 20, s’en était plutôt mieux tirée,  puisque, le pétrole ayant été trouvé sur leur réserve, ils bénéficiaient d’une partie du revenu de l’exploitation. Et comme ils étaient relativement peu nombreux, cela rendait chacun (et chacune) de ces Peaux-Rouges d’un seul coup très riches. Cela n’échappa à des coureurs de dot, qui épousèrent ces squaws en or massif.
Mais cela fit aussi le malheur de la tribu, car (fait historique) une vague de morts suspectes vint affecter la communauté. Scorsese s’appuie sur ce fait réel pour bâtir un beau et long (3h30) opus. Il a visiblement passé beaucoup de temps à lire des ouvrages ethnologiques, car il sait nous restituer magnifiquement la fin de ce monde amérindien obligé de sauter dans la modernité.
Nous allons donc rencontrer William Hale (=Robert de Niro) un notable local qui se veut bienfaiteur des Indiens , mais qui en sous-main nourrit de noirs desseins. Il embauche son neveu, Ernest Buckart (= Leonardo di Caprio), un peu simplet mais au diapason de la violence de ce monde sans foi ni loi. Là où ça se corse, c’est que le bel Ernest marie une belle Indienne, Molly, qui pour le coup est riche mais aussi pleine de charme. C’est Lily Gladestone, qui perce l’écran. Et Ernest tombe amoureux, on le comprend, de la belle Molly. Ça va faire dérailler le plan du viel oncle, on ne vous dira pas la suite.
Scorsese (80 ans) n’a pas perdu la main. Celui qui nous a fait plonger dans les bas-fonds de New-York, écouter les stars de la pop, s’émerveiller devant le monde de Méliès, signe là un chef d’œuvre. Il a coproduit le film, et y a mis tellement de talent que l’on pourrait penser, vu son âge,  qu’il a voulu nous laisser un testament.
Vous avez compris, précipitez-vous !

PS : le capitaine, dans une vie antérieure, a beaucoup fréquenté les sympathiques cow-boys de Phillips Petroleum, allant les voir à Bartlesville (Oklahoma) . Il peut vous certifier que 50 ans après les faits relatés par le film , il y avait encore d’authentiques Indiens Osages parmi les dirigeants de la Compagnie.

Alix Caudrillier (31/10/2023)

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